Interview Pierre Krähenbühl – Radio Télévision Suisse
RTS: Pierre Krähenbühl, vous êtes directeur de l’UNRWA, pour l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestinien. Ce matin votre départ semblait provisoire, ça ne l’est plus ce soir ?
Non. Pratiquement jour pour jour six ans après ma nomination par l’ancien Secrétaire Générale des Nations Unies Monsieur Ban Ki Moon, j’ai annoncé aujourd’hui mon départ au Secrétaire Générale Monsieur Guterres. Les choses doivent être claires aujourd’hui.
On a un contexte d’hyper politisation, le sujet vient de l’évoquer, qui entoure l’UNRWA depuis plusieurs années maintenant avec des attaques politiques extrêmement directes, des attaques financières et depuis cet été des attaques personnelles qui se sont intensifiées.
Alors justement, des voyages trop dispendieux, des relations de certaines personnes favorisées, l’autoritarisme, le népotisme, vous répondez quoi ?
J’ai rejeté ces accusations depuis le début et je continue à le faire et d’ailleurs pour avoir eu hier une mise à jour sur l’état actuel de l’enquête, je peux vous dire de manière extrêmement claire qu’il n’y a eu aucun cas de corruption, ni de fraudes, ni de mauvaises gestions reçues des donateurs.
L’allégation qui a tenu en haleine une partie de la Suisse cet été, selon laquelle j’aurai entretenu une relation personnelle avec une de mes collaboratrices, a été confirmée comme étant non existante par le rapport interne. Je l’ai toujours rejeté, donc il y a là des choses qui ont été clarifié. Mais il reste d’autre sujets, des questions de recrutement et des enjeux de gestion. Et là, c’était clair pour moi que dans le contexte d’hyper politisation, avec cette enquête qui traine en longueur, on n’est pas dans un contexte de sérénité pour accueillir les résultats de cette enquête. Je pensais qu’il fallait un choc psychologique que j’ai donné aujourd’hui.
Alors les enjeux au Moyen Orient, c’est un peu le conflit israélo-palestinien qui se joue à travers l’UNRWA. Trump, Benyamin Netanyahu, les Etats Unis voulaient la peau de cet organisme, est ce que vous pensez que vous êtes aussi victime de ça ?
Il est clair qu’on est soumis à des attaques que je n’ai jamais connu en 28 ans d’humanitaire. J’ai travaillé dans beaucoup de conflits avec le CICR, avec l’UNRWA aussi, mais le 22 mai dernier lorsque je faisais un briefing au Conseil de Sécurité des Nations Unies, je me suis retrouvé attaquer très directement par le représentant américain d’une manière qui était une remise en cause fondamentale du multilatéralisme des Nations Unies mais aussi du travail de l’UNRWA. Je me suis toujours opposé à ça et j’ai répondu en live à ces critiques. Lors des séances du Conseil de Sécurité, quand vous le faites, vous savez aussi que vous allez payer un prix à ces niveaux politiques. Mais je ne l’ai pas fait pour moi, je l’ai fait pour le Moyen Orient parce qu’il existe au moins cinq millions et demi de réfugiés palestiniens dont la situation aujourd’hui est extrêmement fragile, qui ne voient pas d’horizon pour elles et pour eux. Il s’agit de prendre des positions fermes et après si on se fait attaquer pour ça, c’est une médaille que l’on porte avec honneur.
La Suisse, est ce qu’elle vous a assez soutenu ? Ignazio Cassis a dit que l’UNRWA faisait partie du problème. Il a suspendu l’augmentation des fonds pour l’organisme. Vous avez été un peu lâché ?
Alors la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je pense à la Suisse c’est les diplomates et les collègues au sein de la DDC qui ont soutenu l’UNRWA, corps et âmes, qui se sont investis et m’ont beaucoup soutenu dans ce travail.
Maintenant il est vrai qu’au Conseil Fédéral, Monsieur Cassis a exprimé des opinions dont le contenu n’entrera pas dans les livres d’or de l’histoire du Moyen Orient. Si Monsieur Cassis était là il dirait sans doute qu’on est en droit de se poser des questions alors permettez-moi de lui poser des questions en retour : 280 milles élèves, des garçons et des filles qui sont dans nos écoles à Gaza, si les écoles de l’UNRWA devaient fermer, dans quelles écoles est-ce que ces élèves iraient étudier ?
C’est ça la seule question et contrairement au Conseil Fédéral, je vais y répondre : il n’y a pas d’école israélienne ni d’école palestinienne, si les écoles de l’UNRWA fermaient il y aurait 280 milles élèves qui serait transférés dans les écoles du Hamas. Et si c’est ça que le Conseil Fédéral ou la communauté internationale, pour ceux qui s’en prennent à l’UNRWA aujourd’hui, veulent réaliser, alors réduisons le nombre de séminaires sur la radicalisation au Moyen Orient, et au moins on serait conséquent dans les actions que l’on entreprend.
Ignazio Cassis n’avait pas compris cela ?
Cet enjeu je pense qu’il ne l’avait pas saisi. Cela peut être pour des raisons personnelles, pour des vues personnelles sur le Moyen Orient. On peut avoir ces préférences, je rencontre beaucoup de gens qui sont d’une perspective israélienne, d’autre qui sont plus proches d’une perspective palestinienne. C’est tout à fait honorable, simplement le Moyen Orient n’a pas besoin d’une prise de position aujourd’hui qui confortent les partis dans leur position intransigeante. On a besoin d’acteurs politiques, comme le Conseil Fédérale, qui cherchent des solutions et qui ne cherchent pas à s’en prendre à des acteurs humanitaires qui, avec courage et dévouement, s’engagent sur les terrains les plus difficiles.
Je rappelle juste que dans le conflit syrien, l’UNRWA a perdu 18 collègues, que 25 sont disparus, que nous avons perdu 11 collègues à Gaza pendant la guerre de 2014. C’est une organisation qui vit sur les lignes de fronts avec passion et engagement et ça jamais je ne renoncerais à le défendre.
Quand on subit une pression comme celle-là, comment on fait ?
La raison pour laquelle on y survie c’est deux choses : au cœur de cet été, lorsque les critiques étaient extrêmement durs sur les questions de l’enquête et sur les allégations répandues, d’anciens collègues du CICR et de l’UNRWA, auxquels j’aimerai rendre hommage ce soir, on prit des initiatives pour défendre ma réputation, et la crédibilité de l’UNRWA.
Ce n’est pas un moment d’amertume. Je pense toujours à deux personnes, près de Damas, dans un camp de réfugié, au cœur de la guerre, qui ont pris chaque pièce du laboratoire de notre clinique pour les protéger et éviter qu’ils soient pillés, ils ont mis les pièces dans leur résidence et quand le conflit était terminé, ils ont ramené toutes les pièces en place. Et j’ai toujours pensé à ces deux personnes de 60 ans, des personnes qui s’engagent avec courage. On ne peut pas être amer, il faut rester passionnés et très humain.
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